Les modèles bismarckien et beveridgien de protection sociale
(fiche thématique)

Introduction

Les systèmes de protection sociale, en tant qu’organisations structurées et institutionnalisées, ne se sont développés que tardivement. Fruits d’histoires sociales et de contextes d’application différents, l’ensemble de ces systèmes sont, toutefois, construits autour de deux grands archétypes.

Le premier est le modèle bismarckien. Développé à la fin du XIX° siècle en Allemagne, ce modèle renvoie à des modes de prise en charge privilégiant la logique assurantielle : en d’autres termes, les prestations sont versées aux individus qui ont cotisés dans le cadre de leur activité professionnelle.

Le second est le modèle beveridgien. Dans ce système, construit au tournant de la Seconde Guerre mondiale, c’est l’appartenance à la communauté nationale qui ouvre un droit aux prestations aux citoyens en leur qualité de membre de cette communauté, indépendamment de leur statut professionnel. Il s’agit, donc, d’un système fondé sur une logique assistancielle.

La France, quant à elle, a, longtemps, privilégié le modèle bismarckien. Mais, différentes réformes ont fait évolué cette approche, de sorte qu’aujourd’hui le système de protection sociale français emprunte tantôt à l’un, tantôt à l’autre de ces modèles.

Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, les deux modèles de protection sociale (I) et d’analyser, dans une seconde partie, le modèle français (II).

I – Les deux modèles de protection sociale

Les deux modèles de protection sociale repose sur deux logiques différentes : l’un est basé sur une logique assurantielle, c’est le modèle bismarckien (A), l’autre est fondé sur une logique assistancielle, c’est le modèle beveridgien (B). Ces deux approches se distinguent par les principes qui les fondent et les caractéristiques qui en résultent.

A – Le modèle bismarckien

Ce modèle a été développé à la fin du XIX° siècle (1). Il présente certaines caractéristiques (2).

1 – Les origines du modèle

Le modèle bismarckien a été conçu en Allemagne à la fin du XIX° siècle par le chancelier Otto von Bismarck (1815 – 1898). Celui-ci a mis en œuvre, à la fin du XIX° siècle, un vaste plan de réformes pour doter l’Allemagne d’un système de protection sociale. Bismarck a, ainsi, institué différents systèmes pour protéger les travailleurs en leur assurant un revenu en cas de maladie (1883), d’accident du travail (1884), d’invalidité et de vieillesse (1889).

Les motivations à l’origine de ce système sont éminemment politiques. Elles résident dans le souci de juguler les mouvements syndicaux et socialistes en améliorant les conditions de vie du prolétariat ouvrier. Ce système se retrouve, aujourd’hui, dans de nombreux pays, tels que, outre l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas ou la Suisse. Il s’est, par ailleurs, peu à peu, généralisée par l'extension à des catégories de population initialement non protégées (employés, étudiants, travailleurs indépendants, ...) et à des risques non pris en compte au départ.

2 – Les caractéristiques du modèle

Le modèle bismarckien est fondé sur une logique assurantielle. Concrètement, à la manière d’une assurance, les salariés cotisent pour acquérir des droits et, en cas de réalisation d’un risque, les droits acquis garantissent aux assurés une aide donnée, tel qu’un revenu de remplacement. Quatre grandes caractéristiques singularisent ce modèle.

Il s’agit, d’abord, d’une protection fondée, exclusivement, sur le travail et qui est, de ce fait, limitée à ceux qui ont pu s’ouvrir des droits à protection par leur travail. La protection sociale est, donc, ici, conditionnée par l’exercice d'une activité professionnelle.

Il s’agit, ensuite, d’une protection obligatoire et nationale.

C’est, également, une protection reposant sur une participation financière des ouvriers et des employeurs, laquelle prend la forme de cotisations sociales. Ces cotisations ne sont pas proportionnelles aux risques, comme dans la logique assurantielle pure, mais aux salaires : on parle, ainsi, de « socialisation du risque ». Il s’ensuit que les prestations sont proportionnelles aux salaires.

Enfin, ce modèle est auto-administré par les partenaires sociaux, c’est-à-dire les représentants des salariés et des employeurs, qui sont conjointement responsables de la gestion des caisses en charge des différents régimes de protection sociale.

I – Les deux modèles de protection sociale

B – Le modèle beveridgien

Le modèle beveridgien est apparu au tourant de la Seconde Guerre mondiale (1). Il repose sur trois grands principes (2).

1 – Les origines du modèle

L’après Seconde Guerre mondiale fut une période de renouveau tant au niveau économique qu’au niveau des idées et des conceptions en matière sociale. Et, c’est au Royaume-Uni qu’une nouvelle approche est apparue. Elle est due à Lord William Beveridge (1879 – 1963), économiste de formation et homme politique britannique. Celui-ci avait déjà conduit, au début du siècle, des travaux qui ont donné naissance à l’adoption d’une loi sur l’assurance maladie, l’assurance invalidité et l’assurance chômage.

Dans son rapport de 1942, Lord Beveridge critiquait le régime britannique d'assurance maladie obligatoire d’alors jugé " trop limité avec le système du plafond d'affiliation, trop complexe avec la multitude des caisses et mal coordonné ". Lord Beveridge proposa, alors, une réforme fondée sur la socialisation des coûts à l'échelle nationale : en d’autres termes, un système basé sur une logique assistancielle. Ce modèle sera, par la suite, appliqué au Royaume-Uni, en Irlande et en Suède, notamment.

2 – Les caractéristiques du modèle

Le modèle beveridgien est fondé sur une logique assistancielle. Ici, c’est l’appartenance à la communauté nationale qui fonde le droit à être protégé, sans rapport avec les emplois exercés. Ce modèle repose sur trois grands principes : l’unité, l’universalité et l’uniformité.

Le principe d’unité s’applique à l’organisation du dispositif et consiste à unifier tous les régimes d’assurances sociales en un système d’assurance nationale sous l’autorité unique de l’Etat et financé par l’impôt. Cette unité de gestion s’explique par l’universalité du système de protection mis en œuvre.

Le principe d’universalité est le principal apport de Lord Beveridge à la conception moderne de la protection sociale. Il conduit à une protection étendue à tous les citoyens et à tous les risques sociaux. Les personnes protégées cessent d’être déterminées exclusivement par l’appartenance à la classe des travailleurs salariés. C’est, désormais, l’ensemble des citoyens qui est couvert et chaque personne se voit reconnaître des droits propres.

Enfin, le principe d’uniformité tient à la conception même de la protection sociale que ce modèle implique. Le système est, ainsi, financé par une contribution unique et la prestation versée est identique pour tous. Cette logique traduit le refus d’introduire, dans le domaine de la protection sociale, les disparités constatées dans les distribution primaire des revenus. L’objectif du système est de garantir une protection égalitaire de base et non de garantir le niveau de vie antérieur.

II – Le modèle français : un système mixte

Le système de protection sociale français reposait, à l’origine, sur une logique bismarckienne : les prestations sociales étaient financées par les cotisations sociales acquittées par les salariés et les employeurs, et elles bénéficiaient uniquement aux travailleurs qui avaient cotisés.

Ce système présentait, toutefois, l’inconvénient de faire peser sur le travail des coûts importants nuisibles à la compétitivité des entreprises françaises. Aussi, ont été, progressivement, intégrés des éléments du modèle beveridgien. Il en est allé ainsi en matière de ressources avec le double mouvement amorcé, à partir des années 1990, consistant à diminuer les cotisations sociales sur les bas salaires et à financer une partie de la protection sociale par le recours à des impôts d’Etat, tels que la CSG (Contribution sociale généralisée) créée en 1990 et la CRDS (Contribution au remboursement de la dette sociale) instaurée en 1996. Cette tendance a, également, été observée sur le plan des prestations avec, notamment, l’instauration du minimum vieillesse en 1956, la reconnaissance du caractère universel des allocations familiales en 1978 et de l’assurance maladie en 1999, ou encore la création du RMI (Revenu minimum d’insertion) en 1988 et sa transformation en RSA (Revenu de solidarité active) en 2008, soit des dispositifs dont le bénéfice n’est pas conditionné par le paiement de cotisations sociales.

Aujourd’hui, le système français emprunte aux deux modèles : il est financé tant par les cotisations sociales que par l’impôt, et propose des prestations dont la plupart sont universelles, c’est-à-dire indépendantes du fait que la personne ait cotisé ou non.