L’idée que les collectivités locales puissent disposer de prérogatives en matière financière ne s’est imposée que progressivement en France. En effet, si l’autonomie locale est proclamée en 1789, les questions financières locales demeuraient déterminées par la loi nationale. Il a fallu attendre 1892 pour que les collectivités puissent, enfin, voter directement leurs budgets. Et, ce n’est que par la loi du 10 janvier 1980 qu’elles ont pu décider, de manière encadrée, des taux d’imposition des quatre grands impôts directs locaux. Ce mouvement sera, ensuite, parachevé par la réforme constitutionnelle de 2003.
Aujourd’hui, les marges de manœuvre budgétaires des collectivités territoriales, bien que plus étendues que par le passé, restent limitées. Cela s’explique par le fait que ces pouvoirs reposent sur des principes imparfaitement consacrés. Le principe d’autonomie financière et le principe d’autonomie budgétaire voient, en effet, leur portée souffrir de nombreuses entorses. Il est donc logique que les prérogatives qui en découlent soient tout aussi inachevées. Tel est le cas du pouvoir fiscal des collectivités, mais aussi de leur capacité à décider librement de l’usage de leurs ressources.
Les marges de manœuvre des collectivités locales en matière financière reposent ainsi sur des principes imparfaitement définis (I), ce qui conduit à ne leurs accorder que des prérogatives budgétaires limitées (II).
Les finances locales reposent sur un double principe : un principe d’autonomie financière (A) et un principe d’autonomie budgétaire (B). La portée de ces principes se trouve, toutefois, limitée, ce qui grève d’autant les marges de manœuvre dont disposent les collectivités locales en matière financière.
L’autonomie financière locale n’a été consacrée par le pouvoir constituant qu’en 2003 (1). Le dispositif prévu souffre, toutefois, de nombreuses lacunes (2) qui sont de nature à amputer les prérogatives financières des collectivités territoriales.
Le principe d’autonomie financière des collectivités locales s’est imposé progressivement de la Révolution jusqu’à nos jours. Sa traduction en droit constitutionnel est, en revanche, plus récente. Sa première manifestation s’est, ainsi, faite dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci s’est, en effet, assuré, à l’occasion de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle et de la vignette automobile, que les règles posées par la loi « n’ont pour effet ni de restreindre la part des recettes ni de diminuer les ressources globales des collectivités concernées au point d’entraver leur libre administration » (CC, 29/12/1998, n° 98-405 ; CC, 28/12/2000, n° 2000-442). Ces décisions s’avéraient, cependant, insuffisantes dans la mesure où elles ne permettaient pas de déterminer un critère ou un seuil à partir duquel les atteintes au pouvoir financier local ne respectent pas la libre administration des collectivités.
Aussi, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République est intervenue pour donner un fondement constitutionnel à ce principe. Elle a introduit, au sein du texte constitutionnel, un article 72 – 2 qui permet de donner corps à l’autonomie financière locale. A cette fin, le nouvel article reconnaît différents pouvoirs ou droits aux collectivités : la capacité de disposer librement de leurs ressources, la capacité de fixer l’assiette et le taux des impositions, ainsi que le droit de bénéficier de ressources complémentaires en cas de transfert de compétences.
L’article 72 - 2 précise, surtout, en son alinéa 3, les éléments permettant de déterminer si l’autonomie financière des collectivités locales est ou non respectée : celui-ci prévoit, ainsi, que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre. » Aux termes de cette disposition, l’autonomie financière des collectivités locales est garantie dès lors que leurs ressources propres représentent une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. La question se posait, donc, de savoir ce qu’il faut entendre par ressources propres et ce qu’est la part déterminante. La réponse apportée à ces questions s’est avérée insatisfaisante.
C’est la loi organique du 29 juillet 2004 qui est venue compléter l’article 72 – 2 de la Constitution. Les précisions apportées se révèlent insuffisantes pour garantir pleinement l’autonomie financière des collectivités locales. Il en va ainsi à deux égards.
La loi organique a, d’abord, défini ce que sont les ressources propres. Il s’agit du produit des impositions de toutes natures dont la loi autorise les collectivités à fixer l’assiette, le taux ou le tarif ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d’assiette, ainsi que des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d’urbanisme, des produits financiers et des dons et legs. Elle ne retient pas, en revanche, les emprunts et recettes de trésorerie ou les subventions et dotations versées par l’Etat.
Cette définition conduit à inclure dans les ressources propres des ressources dont les collectivités n’ont pas la maîtrise, à savoir la part du produit des impôts nationaux transférés aux collectivités, ce qui est une approche étroite du pouvoir financier local : en effet, bien que d’origine fiscale, ces ressources présentent pour les collectivités l’attribut de dotations. Ce sentiment est renforcé par le fait qu’à l’occasion de la suppression de pans entiers de la fiscalité locale, la compensation s’effectue, prioritairement, par l’allocation d’une part de tels impôts. Dès lors, la protection de l’autonomie financière locale apparaît non pas comme une garantie de ressources fiscales, véritablement, maitrisées par les collectivités, mais, simplement, comme une assurance du maintien d’un certain niveau de ressources.
La loi organique a, ensuite, défini ce qu’il fallait entendre par « part déterminante ». Elle a, ainsi, prévu que « pour chaque catégorie de collectivités, la part des ressources propres est calculée en rapportant le montant de ces dernières à celui de la totalité de leurs ressources à l’exclusion des emprunts, des ressources correspondant aux financement des compétences transférées à titre expérimental ou mises en œuvre par délégation. » Cette part ne peut être inférieure, pour chaque catégorie de collectivités, au niveau constaté en 2003, soit : 60,8 % pour les communes et les EPCI, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions. Si ce critère se révèle parfaitement opérationnel, il n’a pas de réelle pertinence intellectuelle et ne dit rien de la nature du pouvoir financier local. En effet, la « part déterminante » n’est, à aucun moment, juridiquement définie.
Si l’autonomie financière des collectivités territoriales voit, ainsi, ses contours être insuffisamment délimités, l’autonomie budgétaire, dont elle est l’une des composantes, se trouve, elle aussi, limitée.
Les collectivités locales bénéficient d’une autonomie budgétaire limitée. En effet, outre la nécessité de budgétiser certaines dépenses obligatoires (voir II – B), leurs prérogatives se trouvent, également, contraintes par un impératif d’équilibre budgétaire : cette exigence est stricte pour les budgets proprement dit (1) et plus souple s’agissant du compte administratif (2).
Contrairement à l’Etat, les collectivités locales doivent voter leur budget en équilibre réel. Cette règle s’applique au budget primitif, au budget supplémentaire et aux décisions modificatives, ainsi qu’à chaque section du budget (section de fonctionnement et section d’investissement). L’article L 1612 – 4 du Code général des collectivités territoriales prévoit, ainsi, que « le budget de la collectivité territoriale est en équilibre réel lorsque la section de fonctionnement et la section d'investissement sont respectivement votées en équilibre, les recettes et les dépenses ayant été évaluées de façon sincère, et lorsque le prélèvement sur les recettes de la section de fonctionnement au profit de la section d'investissement, ajouté aux recettes propres de cette section, à l'exclusion du produit des emprunts, et éventuellement aux dotations des comptes d'amortissements et de provisions, fournit des ressources suffisantes pour couvrir le remboursement en capital des annuités d'emprunt à échoir au cours de l'exercice. »
Cette règle de l’équilibre réel ne signifie pas l’interdiction du recours à l’emprunt, mais un encadrement de son usage. Plus précisément, elle interdit le financement des dépenses de la section de fonctionnement à partir d’un emprunt. En revanche, elle autorise l’endettement pour financer la section d’investissement, mais impose que le remboursement de la dette soit assuré à partir de ressources définitives de ladite section. En d’autres termes, il n’est pas possible de couvrir la charge d’un emprunt préexistant à partir d’un autre emprunt.
Cette règle fait l’objet d’un contrôle de la part des Chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Ainsi, lorsque le budget n’est pas voté en équilibre réel, le préfet saisit la Chambre dans le délai d’un mois suivant la transmission du budget. La CRTC dispose, ensuite, d’un mois pour proposer à la collectivité les mesures nécessaires au rétablissement de l’équilibre. Si la collectivité n’a pas, dans le mois qui suit, adopté un budget équilibré, le CRTC dispose de 15 jours pour produire une seconde proposition sur la base de laquelle le préfet adoptera le budget de la collectivité et le rendra exécutoire
La même exigence s’applique, avec un degré moindre, au compte administratif.
Le compte administratif est l’acte par lequel l’ordonnateur, rend compte, à la clôture de l’exercice budgétaire, des opérations budgétaires qu’il a exécutées. Il permet d’opérer un rapprochement entre les prévisions ou autorisations inscrites au budget et les réalisations effectives en dépenses et en recettes. Il doit être voté, par l’assemblée délibérante de la collectivité, avant le 30 juin de l'année qui suit celle de l'exécution du budget et transmis au représentant de l’Etat avant le 15 juillet. Son solde est reporté dans le budget supplémentaire de l’exercice suivant.
Cet acte ne doit pas faire apparaître un déficit excessif. En d’autres termes, lorsque l’exercice précédent se solde par un déficit supérieur ou égal à 10 % du montant des recettes de la section de fonctionnement dans les communes de moins de 20 000 habitants, 5 % pour les autres collectivités, la CRTC, saisie par le préfet, propose, dans les deux mois de sa saisine, des mesures utiles au redressement de l’équilibre budgétaire. En pareille hypothèse, le budget primitif de l’exercice suivant doit, également, être automatiquement transmis par le préfet à la chambre. Si celle-ci constate que les mesures prises sont insuffisantes, elle propose au représentant de l’Etat dans le délai d’un mois à compter de sa saisine les mesures nécessaires au rétablissement de l’équilibre. Le préfet peut, alors, régler et rendre exécutoire le budget.
Les collectivités territoriales ne peuvent donc s’appuyer, en matière financière, que sur des principes imparfaitement conçus. Ainsi s’explique que leurs marges de manœuvre en la matière soient incomplètes.
La réforme constitutionnelle de 2003 a été l’occasion pour le pouvoir constituant de reconnaître aux collectivités locales différentes prérogatives en matière financière. Cette consécration a, toutefois, été jumelée avec l’instauration de limites à ces nouvelles prérogatives. Il en est allé de la sorte pour leur pouvoir fiscal (A) et pour la liberté dont elles disposent dans l’usage de leurs ressources (B).
L’article 72 – 2 al. 2 de la Constitution reconnaît un pouvoir fiscal aux collectivités territoriales. Ce pouvoir se trouve, toutefois, privé d’une partie non négligeable de son potentiel du fait de la suppression de pans entiers de la fiscalité locale (1) et de l’encadrement dont il fait l’objet (2).
A compter de la seconde moitié des années quatre-vingt, les dégrèvements et exonérations en matière de fiscalité locale se sont multipliés. Ce mouvement s’est poursuivi, plus près de nous, par la suppression de la taxe d’habitation sur la résidence principale pour 80 % des ménages en 2021 (elle le sera pour les autres ménages en 2023). La diminution des impôts de production décidée en 2020 est allée dans le même sens (réduction de moitié de la Cotisation foncière des entreprises – CFE et de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – CVAE à compter de 2021) et devrait se poursuivre en 2023. Certes, l’Etat a procédé à des compensations du « manque à gagner » par un transfert d’une partie des impôts nationaux. Mais, ceux-ci sont voués à se transformer en dotations.
Ces évolutions s’expliquent par la volonté de l’Etat de maîtriser les ressources des collectivités locales et donc, indirectement, leurs dépenses dans un contexte de lutte contre les déficits publics et de discipline budgétaire imposée par l’Union européenne.
Ce mouvement n’a pas été sans incidence sur les prérogatives fiscales dont disposent les collectivités locales. Certes, ces dernières conservent le pouvoir de fixer l’assiette et le taux des impositions locales, mais ce pouvoir se trouve toujours plus privé de sa portée. En effet, toute nouvelle suppression d’impôt local vient amputer les prérogatives que leurs reconnaît le texte constitutionnel. Le Conseil constitutionnel n’y a pas vu d’objection : celui-ci a considéré que l’article 72 – 2 de la Constitution n’offre, en aucun point, une autonomie fiscale aux collectivités locales (CC, 29/12/2009, n° 2009-599).
D’autres limites découlent de la Constitution elle-même.
Le second alinéa de l’article 72 – 2 de la Constitution prévoit que les collectivités locales « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine. » Cet article induit deux limites quant aux prérogatives fiscales des collectivités.
D’une part, cette disposition ne remet pas en cause l’impossibilité pour les collectivités territoriales de créer une nouvelle imposition. En effet, cet article doit être lu en liaison avec l’article 34 du texte constitutionnel aux termes duquel « la loi fixe les règles concernant … l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». En d’autres termes, seul le législateur peut créer un nouvel impôt. Les collectivités territoriales ne peuvent donc exercer les pouvoirs qu’elles tiennent de l’article 72 – 2 que dès lors que le législateur a créé une imposition et qu’il leurs a attribué compétence pour en fixer l’assiette et le taux.
D’autre part, si l’article 72 – 2 de la Constitution reconnaît aux collectivités la capacité de fixer le taux (cette possibilité existait depuis la loi du 10 janvier 1980) et l’assiette des taxes locales, l’exercice de ce pouvoir doit s’opérer « dans les limites » que la loi détermine. La détermination des taux des quatre impôts directs locaux fait, ainsi, l’objet d’un encadrement par le législateur.
Ce mouvement de consécration d’une prérogative, aussitôt encadrée, se retrouve, également, s’agissant de l’usage par les collectivités territoriales de leurs ressources.
Les collectivités locales peuvent décider, librement, de l’usage de leurs ressources (1). Cette liberté est, toutefois, limitée, du fait, notamment, de l’existence de dépenses obligatoires (2).
L’alinéa 1° de l’article 72 – 2 de la Constitution prévoit que « les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. » Cette disposition renvoie au concept d’autonomie budgétaire, partie intégrante de celui d’autonomie financière, qui permet aux collectivités locales de déterminer l’usage de leurs ressources, en d’autres termes de décider de leurs dépenses.
Outre l'obligation pour les collectivités de voter leur budget en équilibre réel, cette autonomie budgétaire se trouve limitée par l’existence pour celles-ci de dépenses obligatoires.
La liberté dont bénéficient les collectivités territoriales dans l’usage de leurs ressources n’est que partielle. En effet, l’article 72 – 2 précise que cette prérogative s’exerce « dans les conditions fixées par la loi ».
Cette limitation fait, notamment, référence à l’existence de dépenses qui présentent un caractère obligatoire pour les collectivités. La loi prévoit, en effet, que ces dernières doivent, obligatoirement, inscrire certaines dépenses à leur budget : il s’agit, notamment, des dépenses liées aux secteurs de compétence de la collectivité (par exemple, les lycées pour les régions), des dépenses de personnel, des intérêts d’emprunt, du remboursement en capital de la dette ou, encore, des indemnités de fonction des élus.
Si cette obligation n’est pas respectée, le préfet, mais, également, le comptable public ou toute personne y ayant intérêt, peuvent saisir la CRTC. Cette dernière dispose d’un mois pour constater le défaut d’inscription de la dépense et mettre en demeure la collectivité de l’inscrire au budget. Si la collectivité ne s’est pas conformée à l’avis de la Chambre dans le délai d’un mois, la CRTC demande au préfet d’inscrire d’office la dépense au budget. Si, par la suite, l’exécutif de la collectivité refuse de mandater la dépense, le préfet lui adresse une mise en demeure et procède au mandatement si celui-ci n’a pas été fait dans le mois qui suit la mise en demeure.
Le même processus est donc à l’œuvre chaque fois qu’un nouveau pouvoir financier est reconnu aux collectivités territoriales : une consécration immédiatement suivie de limitations. Il ne peut en aller autrement tant les fondements sur lesquels repose la reconnaissance de ces prérogatives sont imparfaitement définis.