La notion de Constitution
(dissertation)

Introduction

La Constitution se définit juridiquement comme « l’ensemble des règles suprêmes fondant l’autorité étatique, organisant ses institutions, lui donnant ses pouvoirs, et souvent aussi lui imposant des limitations, en particulier en garantissant des libertés aux sujets ou citoyens » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, 10e Ed., PUF, 2014, p. 251).

En effet, depuis longtemps, les sociétés se sont organisées autour de règles fondamentales. D’abord d’origine simplement coutumière, elles se retrouvent ensuite au sein de plusieurs chartes notamment au Royaume-Uni (Magna Carta, Habeas Corpus…). Les Constitutions écrites dans leurs versions plus modernes apparaissent ensuite à la fin du XVIIIème siècle, notamment aux États-Unis (1787) et en France (1791).

Généralement, ces Constitutions dans leur forme écrite suivent des étapes de « fonctionnement » très semblables. Elles sont d’abord élaborées par le pouvoir constituant, difficile à définir en fonction des circonstances politiques et sociales parfois tumultueuses qui l’entourent : une assemblée constituante, un pouvoir provisoire qui a récemment remplacé un autre régime politique ou encore le peuple souverain… En France, la Constitution actuelle de la Vème République a été élaborée par un comité de politiques et de juristes, comptant également sur l’intervention du Parlement et du Conseil d’État, avant d’être validée par le peuple français lors du référendum du 28 septembre 1958.

Après son adoption et son entrée en vigueur, le texte constitutionnel peut aussi être révisé, selon des modalités qu’il a lui-même prévu, mais aussi être abrogé pour être remplacé par un autre régime, une autre Constitution. Là encore, la révision (prévue par le Titre XVI de la Constitution du 4 octobre 1958) ou le remplacement de la Constitution peut parfois paraître relativement aléatoire tant les modalités et garanties prévues au départ sont peu respectées. Il faut citer ainsi, par exemple, l’obtention des pleins pouvoirs par le Maréchal Pétain en juillet 1940 et la mise en place du Régime de Vichy, qui éclipse purement et simplement la IIIème République pendant près de cinq années.

De la même manière que pour son élaboration, pour sa révision ou son remplacement, la notion moderne de Constitution demeure parfois difficile à cerner. Les juristes se sont donc toujours interrogés en ce sens : que recouvre-t-elle réellement et quelle est la force juridique de son contenu si riche et diversifié ?

La Constitution s’entend d’abord comme un texte écrit à valeur fondamentale (I), mais la reconnaissance de son contenu dans le cadre d’une vision relativement large doit également être relevée (II).

I - La Constitution : un texte écrit à valeur fondamentale

La Constitution apparaît effectivement comme un texte écrit dont l’élaboration apparaît pleinement justifiée (A), tandis que son caractère fondamental est pleinement reconnu et largement protégé (B).

A - Les nécessités justifiant l'élaboration de Constitutions écrites

La norme constitutionnelle apparaît ainsi indispensable pour permettre la mise en place d’un État doté d’une véritable organisation politique (1), mais aussi pour garantir l’établissement et l’existence d’un État de droit (2).

1 - Les justifications originelles d’une véritable organisation politique

Pour Raymond Carré de Malberg, « la naissance de l’État coïncide avec l’établissement de sa première Constitution » (Raymond Carré de Malberg, Contribution à l’étude de la théorie générale de l’État). Il est vrai que cette Constitution permet pleinement de reconnaître la naissance d’un État et la mise en place d’une véritable réglementation quant à son organisation politique, juridique, sociétale, notamment à travers l’intervention du pouvoir constituant originaire.

À chaque type de régime politique d’ailleurs, les Constitutions sont amenées à évoluer et les règles d’organisation politique avec elles. D’une part, très classiquement les Constitutions répartissent clairement les pouvoirs, contraignant et limitant les pouvoirs du souverain à l’heure de notre première Constitution écrite. La forme écrite permet que les règles constitutionnelles soient « gravées dans le marbre », les rendant ainsi moins contestables et d’application plus stricte. D’autre part, la Constitution vient, de manière indispensable, protéger l’État de droit et ses valeurs démocratiques.

2 - Une norme indispensable à l’établissement d’un État de droit

Appuyée par différents courants philosophiques et politiques, la Constitution écrite – telle que nous la connaissons depuis la fin du XVIIIème siècle – apparaît comme une pleine garantie protégeant largement les citoyens d’un pouvoir fort et arbitraire. Effectivement, comme l’Habeas Corpus autrefois, le texte constitutionnel ne va pas seulement organiser le fonctionnement d’un État, il va aussi garantir un certain nombre de droits et de libertés à l’ensemble des individus. A ce titre, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ne manque pas de proclamer que « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution » (art. 16).

Les Constitutions de la IVème (1946) et de la Vème Républiques vont renforcer cette prise en compte des libertés et droits fondamentaux. Il faut noter que, pour autant, la protection de l’État de droit, les garanties relatives aux libertés et aux droits de l’Homme ne se limitent pas aux textes constitutionnels de chaque État. C’est ainsi que les textes internationaux ou européens sur ces sujets ne manquent également pas de croitre depuis la fin de la seconde guerre mondiale (Charte européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, Charte de l’Organisation des nations unies, etc).

Enfin, il est louable de remarquer que cette protection de l’État de droit par la Constitution ne peut être efficace que si le caractère fondamental de ce texte est reconnu et protégé.

I - La Constitution : un texte écrit à valeur fondamentale

B - Un caractère fondamental reconnu et protégé

En France, la suprématie de la Constitution est pleinement reconnue lui conférant ainsi ce caractère fondamental nécessaire (1), tandis que celle-ci est assez largement protégée aujourd’hui (2).

1 - La suprématie de la Constitution pleinement reconnue

Souvent qualifiée de « Loi fondamentale », la Constitution apparaît au sommet de la célèbre pyramide des normes juridiques théorisée par Hans Kelsen. En effet, cette place privilégiée trouve son fondement dans la nécessité des textes constitutionnels dans l’organisation de nos sociétés. De même, cette suprématie apparaît indispensable pour que les règles constitutionnelles soient respectées, sans quoi elles perdraient toute valeur fondamentale.

La prééminence des textes constitutionnels n’a lieu d’être que si la Constitution est protégée par un certain nombre de mécanismes.

2 - La protection dévolue à la Constitution

La suprématie de la Constitution est ainsi largement garantie par le contrôle de constitutionnalité, né dans un premier temps aux États-Unis (Aff. Marbury c./ Madison).

En France, la protection de la Constitution est tardive ce qui aura pour conséquence qu’il y soit porté atteinte à plusieurs reprises avant cela. En effet, Louis Napoléon Bonaparte mettra fin, en décembre 1852, à la IIème République (Constitution de 1848) et le Maréchal Pétain fera voter l’octroi des pleins pouvoirs et le piétinement de la Constitution de la IIIème République en juillet 1940. Les textes constitutionnels n’ont donc pas réussi à empêcher la mise en œuvre de pouvoirs autoritaires.

En 1946, la Constitution de la IVème République prévoit bien la création d’un Comité constitutionnel qui sera finalement peu efficace. C’est la création du Conseil constitutionnel (art. 56 à 63 de la Constitution du 4 octobre 1958) qui permet enfin de mettre en œuvre un réel contrôle du respect de la Constitution par les autres textes juridiques. Dans un premier temps limité au contrôle a priori, puis à un contrôle à l’initiative de certains politiques, ce dernier est accru depuis 2010 avec la mise en œuvre de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) permettant a posteriori, sous certaines conditions, aux justiciables de soulever l’inconstitutionnalité d’une règle au cours d’un procès (V. Guy Carcasonne et Olivier Duhamel, QPC. La question prioritaire de constitutionnalité, Dalloz, 2011).

Aussi, l’article 5 de la Constitution du 4 octobre 1958 précise que « le Président de la République veille au respect de la Constitution ».

La Constitution ne se limite pas à un unique texte écrit à valeur fondamentale, mais s’étend bien au-delà dans une vision particulièrement expansive de la norme constitutionnelle.

II - Une vision expansive du contenu de la norme constitutionnelle

D’une part, le contenu de la Constitution écrite est riche, mais aussi évolutif (A), tandis que d’autre part, la place de la pratique constitutionnelle permet de reconnaître une force juridique fondamentale au-delà de la Constitution écrite (B).

A - Une norme constitutionnelle au contenu riche et évolutif

Aujourd’hui, le contenu de la norme constitutionnelle française ne recouvre pas uniquement la Constitution elle-même, mais s’étend à d’autres textes reconnus (1). Si la norme constitutionnelle évolue, notamment à travers la révision de la Constitution et la vision large de son contenu, cette évolution reste encadrée (2).

1 - L’extension au-delà du texte même de la Constitution

Les lois organiques et les règlements des assemblées viennent renforcer les normes constitutionnelles et leur mise en œuvre. Au-delà de la Constitution écrite stricto sensus, le Conseil constitutionnel est aussi venu reconnaître l’existence du « bloc de constitutionnalité », théorisé par Louis Favoreu (Conseil constitutionnel, décision n° 71-44 DC, Liberté d’association). Il est ainsi formé de plusieurs textes constitutionnels de référence : le préambule de la Constitution de 1958, le préambule de la Constitution de 1946, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, la Charte de l’environnement de 2004. Le préambule de 1958 fait expressément mention de tous ces textes. On reconnaît ainsi également la valeur constitutionnelle des Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR).

L’ensemble de ces textes peuvent être invoqués dans le cadre du contrôle de constitutionnalité.

Leur intégration à la norme constitutionnelle démontre la vision particulièrement large qui lui est dévolue aujourd’hui et marque son évolution, son adaptation au fil des époques. Toutefois, l’évolution des textes constitutionnels reste délicate et relativement encadrée.

2 - Une évolution encadrée de la Constitution

Si la norme constitutionnelle s’enrichit, à l’image de la reconnaissance du bloc de constitutionnalité, son évolution reste tout de même encadrée. En effet, le contenu purement écrit ne peut être modifié qu’à travers la procédure de révision de la Constitution qui se veut relativement stricte. On remarquera qu’au gré des réformes constitutionnelles, les principaux textes « historiques » du bloc de constitutionnalité n’évoluent d’ailleurs pas. Seule la Constitution du 4 octobre 1958 en tant que telle évolue, comme d’autres avant elle.

Si nombre d’évolutions sont venues enrichir la norme constitutionnelle, la difficulté à réviser la Constitution peut également être vue comme une force du point de vue de son caractère fondamental. En effet, cet encadrement protège ainsi l’État de droit lui-même mis en valeur par la Constitution et induit une certaine stabilité constitutionnelle la plupart du temps. C’est ainsi qu’on note la difficulté à réviser la Constitution : référendum du 27 avril 1969 qui portera de Gaulle à la démission, ou encore l’impossibilité pour le président François Hollande de porter certains points de réforme délicats (déchéance de nationalité etc…) après les attentats de 2015. Au contraire cela peut aussi être vu comme un facteur d’instabilité et de blocage institutionnel.

Face à ces difficultés, la doctrine est venue reconnaître une force juridique certaine à la pratique constitutionnelle, dans le cadre d’une vision plus souple de la Constitution.

II - Une vision expansive du contenu de la norme constitutionnelle

B - La force juridique reconnue à la pratique constitutionnelle

Une force juridique est également dévolue à la coutume constitutionnelle (1), mais aussi aux conventions constitutionnelles (2), élargissant ainsi le champ de la norme constitutionnelle.

1 - La reconnaissance de la coutume constitutionnelle

Si la France a opté pour une Constitution écrite depuis 1791, il est arrivé que la coutume tienne une place considérable. En effet, elle apparaît d’abord comme une force d’interprétation et comme un complément des normes constitutionnelles écrites : il s’agit de la coutume dite « Praeter legem ». A ce titre on peut évoquer, pour exemple, la fonction de Président du Conseil sous la IIIème République en tout cas jusqu’à dans les années 1930.

Aussi, il faut citer la Constitution « Grévy », qui finalement réorganise la lettre initiale des lois constitutionnelles de la IIIème République, en renforçant par la coutume l’ascendant du Parlement sur l’exécutif. Ainsi, le pouvoir de dissolution du Président de la République, pourtant prévu par les textes constitutionnels, devient désuet. C’est la coutume « contra legem », soutenue et théorisée par René Capitant. La coutume contra legem semble peu présente sous la Vème République.

La coutume permet finalement de faire évoluer la norme constitutionnelle, parfois au-delà du texte écrit, sans avoir recours à une révision constitutionnelle, puisqu’elle finit par être appliquée obligatoirement comme si elle était une règle écrite.

2 - La place des conventions constitutionnelles

A la différence de la coutume, qui s’entend de par sa répétition comme une norme obligatoire, les conventions constitutionnelles s’entendent davantage comme une pratique politique de la norme constitutionnelle. On pourrait finalement qualifier de telles conventions de « comportements constitutionnels » qui peuvent évoluer rapidement.

Sous la Vème République, la démission du Premier Ministre à la demande du Président de la République, en dehors des rares périodes de cohabitation, apparaît bien comme une convention constitutionnelle. Il faut évoquer aussi, par exemple, l’utilisation du référendum de l’article 11 pour réviser la Constitution ou encore l’utilisation du référendum comme plébiscite. De même pour la démission des gouvernements au lendemain de l’élection présidentielle.