Souveraineté populaire et souveraineté nationale
(dissertation)

Introduction

La souveraineté se définit comme « le caractère suprême d’une puissance (…) qui n’est soumise à aucune autre », à l’image de la souveraineté de l’État (G. CORNU, Vocabulaire juridique, 10e Ed., PUF, 2015, p. 983). En effet, cette puissance, cette souveraineté étatique apparaît aussi très clairement dans les différents éléments qui déterminent, selon les travaux de Carré de Malberg, l’existence d’un État en tant qu’entité juridique.

Différentes théories ont pu être avancées concernant la notion de souveraineté. D’abord, la souveraineté est clairement l’affaire de la religion, la chrétienté y faisant largement référence dans le cadre de pouvoirs venus de Dieu. L’Ancien régime s’appuya d’ailleurs sur cette conception de souveraineté « divine » sans laquelle la puissance du Roi et du Royaume de France ne saurait exister.

La conception religieuse a toutefois été remplacée largement, au XVIIIème siècle, par le courant des Lumières et par les différentes théories débattues à l’époque révolutionnaire. C’est ainsi à cette période que deux théories fondamentales s’opposent très clairement en France : la notion de « souveraineté populaire » développée par Jean-Jacques ROUSSEAU (J.-J. ROUSSEAU, Du Contrat social, 1762) qui retient une souveraineté dont chaque membre de la population détient une part qu’il exerce dans le cadre d’un système de démocratie directe ; la théorie de la « souveraineté nationale » défendue par l’Abbé Emmanuel-Joseph SIEYES (E.-J. SIEYÈS, Qu’est-ce que le Tiers État ?, 1789) dans laquelle c’est la Nation toute entière qui détient la souveraineté et le peuple s’y exprime à travers des représentants élus.

Mais comment les Constituants ont-ils tranché, après la Révolution, entre ces deux principes et lequel ont-ils préférés retenir pour la France ?

L’opposition à l’encontre de la souveraineté populaire apparaît suffisamment marquée à de nombreuses reprises pour que cette théorie ne soit pas réellement retenue (I), au profit donc de la souveraineté nationale dont les contours ont été tempérés et modernisés (II).

I - Une opposition marquée à l’encontre de la souveraineté populaire

L’opposition à la souveraineté populaire est marquée ainsi par deux échecs majeurs de sa mise en œuvre dans l’histoire constitutionnelle française (A) et par un échec de la démocratie directe qui y est attachée (B).

A - Deux échecs majeurs de la souveraineté populaire

Par deux fois, les Constituants ont donc tenté de mettre en œuvre la souveraineté populaire : dans la Constitution montagnarde en 1793 (1), mais aussi dans le premier projet de Constitution de 1946 (2). Ces deux tentatives se solderont rapidement par des échecs cuisants.

1 - La Constitution montagnarde de 1793

La souveraineté populaire est effectivement très présente dans la Constitution montagnarde du 24 juin 1793 (6 Messidor an I), notamment à travers les articles 7 à 10 et un système de démocratie directe très puissant. Il s’agit évidemment d’une Constitution très idéologique dans une période révolutionnaire marquée par la Terreur et les pouvoirs du Comité de salut public.

Si ce projet est adopté par référendum, avec une participation très limitée, le texte ne sera jamais appliqué pour plusieurs raisons. Il divise profondément, tout d’abord, mais il s’inscrit aussi dans une période de conflits internes (guerre en Vendée…). Le Directoire qui suivra fait un choix plus apaisé et moins radical pour renouer avec la confiance des français.

2 - Le premier projet de la Constitution de 1946

Dans une période encore particulièrement tumultueuse, à l’issue de la Seconde guerre mondiale, l’Assemblée constituante largement à gauche fait un choix assez proche du point de vue de la souveraineté populaire. Le projet constitutionnel du 19 avril 1946 est adopté, quelques mois après la démission du Général de Gaulle de la tête du gouvernement provisoire, par les parlementaires. On y retrouve que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans le peuple » notamment à l’article 2.

Les français ont finalement rejeté ce projet de Constitution lors du référendum du 5 mai 1946, avec près de 53% des voix. Un nouveau projet plus rassembleur sera proposé ensuite et adopté très largement pour mettre en œuvre la IVème République.

Mais l’échec de la souveraineté populaire c’est aussi l’importance des représentants au détriment des éléments de la démocratie directe.

I - Une opposition marquée à l’encontre de la souveraineté populaire

B - L’échec de la démocratie directe attachée à la souveraineté populaire.

L’échec de la démocratie directe est la conséquence d’un certain rejet des Constituants et des difficultés qu’elle engendrerait (1), alors même que ceux-ci ont préféré faire le choix de la représentation (2).

1 - Rejet et difficultés de la démocratie directe

Le système de démocratie directe attaché généralement à la souveraineté populaire est difficilement applicable dans un pays comme la France avec un territoire large et une population importante (déjà en 1793).

Plusieurs craintes sont aussi à l’origine, à de nombreuses reprises, du rejet de la démocratie directe et de « l’électorat-droit ». Les Constituants craignent souvent les dérives populistes qui pourraient en résulter, mais aussi, avec parfois une certaine hypocrisie notamment des révolutionnaires, la peur de devoir s’effacer au profit du peuple. En effet, malgré leurs idéaux certains personnages deviennent facilement des icônes de la Convention et n’ont guère d’intérêt à supprimer toute représentation ce qui les ferait alors disparaitre.

2 - Le choix de la représentation

La plupart des textes constitutionnels vont donc mettre en œuvre un système fondé sur la représentation et « l’électorat-fonction ». Les citoyens sont ainsi habités par une fonction électorale particulière : il s’agit de désigner des représentants qui voteront ensuite les différents textes de loi conformément à « la volonté générale ». Le mandat impératif est également rejeté dans cette conception.

Ce système est censé permettre la représentation de tous les citoyens, sans pour autant que chacun soit obligé de se prononcer sur un texte et donc faciliter l’organisation politique de l’État. La réalité ou la qualité de cette représentation ne sera pas tout à fait la même en fonction du mode de scrutin retenu : le scrutin majoritaire, qui avantagera davantage une majorité idéologique ; le scrutin proportionnel, qui représentera même des courants politiques plus faibles.

Les Constituants, notamment de la Vème République vont donc préférer une souveraineté nationale, tempérée par quelques éléments habituellement attachés à la souveraineté populaire.

II - Vers un principe de souveraineté nationale plus tempéré

Les Constituants préfèrent ainsi, la plupart du temps, la théorie de la souveraineté nationale (A), mais ils vont être amenés à tempérer cette dernière en instillant quelques outils de souveraineté populaire dans le cadre d’une formule mixte (B).

A - Une souveraineté nationale historiquement retenue

La souveraineté nationale est effectivement la théorie dans laquelle vont historiquement se reconnaître les révolutionnaires (1), même si ce choix présente des limites notamment dues au système représentatif (2).

1 - Le choix historique des révolutionnaires

Dans un nouveau Royaume qui a abandonné les excès de la Monarchie absolue, les constituants font le choix de la souveraineté nationale dans la Constitution du 24 septembre 1791. En effet, son article 1er précise que « la souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la nation ». Ces dispositions constitutionnelles tranchent ainsi avec la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui restait plus nuancée sur cette question.

Les différentes Constitutions républicaines qui seront amenées à s’appliquer ensuite feront ce choix de la souveraineté nationale et du système représentatif jusqu’en 1946. Mais le système de représentation qui en résulte comporte tout de même un certain nombre de limites.

2 - Les limites de la souveraineté nationale et du système de représentation

Si Burke déclare que « le Parlement n’est pas un Congrès d’ambassadeurs » refusant ainsi le mandat impératif attaché à la souveraineté populaire, le système alternatif de la représentation présente quelques dysfonctionnements ou quelques faiblesses.

En effet, les partisans de la démocratie directe et de la souveraineté populaire protestent contre la distance qui peut s’installer entre le peuple et ses représentants. Une protestation qui reste profondément actuelle. Avant 1848, l’absence de suffrage universel pouvait aussi apparaître comme biaisant ce système, la représentation étant limitée ainsi à une catégorie de la population. Face aux difficultés à trancher entre deux fonctionnements bien distincts, les Constituants ont préféré choisir une formule mixte de souveraineté à partir de 1946.

II - Vers un principe de souveraineté nationale plus tempéré

B - Le choix contemporain d’une formule mixte

En effet, cette formule mixte se retrouve ainsi dans la Constitution de la IVème République (1) et dans celle de la Vème République en 1958 (2).

1 - La formule mixte dans la Constitution de la IVème République

Si le choix de la souveraineté nationale est largement prédominant dans notre histoire constitutionnelle, les Constituants plus contemporains font un choix moins clivant entre les deux formules.

En effet, après l’échec du référendum sur le premier projet de Constitution qui avait fait le choix de la souveraineté populaire, l’Assemblée constituante va choisir une formule plus nuancée à l’article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple français ». Ce projet sera largement adopté par les français. Au-delà de l’instabilité des institutions qui vaudra la mise en œuvre de la Vème République, la Constitution de 1958 fera un choix étrangement similaire.

2 - La formule mixte dans la Constitution de la Vème République

Comme dans la Constitution de 1946, l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958, en vigueur à l’heure actuelle, prévoit que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

La logique de démocratie « semi-directe » est donc retenue avec cette formule mixte puisque le système de représentation n’empêche pas une participation régulière du peuple à travers le référendum. Pour autant, à l’heure actuelle, l’usage du référendum est plus marginal qu’à l’époque gaullienne (pas de référendum national depuis 2005 en France). La participation du peuple de manière directe est également requise, comme sous la IVème République, pour modifier la Constitution, même si là aussi une voie différente est prévue à l’article 89 avec la prédominance des représentants.