Il est des arrêts qui éclairent le droit au-delà des faits d’espèce qui en sont à l’origine. L’arrêt Sarran et Levacherest topique de ces arrêts de principe qui irriguent l’ensemble de la réflexion juridique.

À l’origine de l’arrêt, se trouve le compromis destiné à mettre fin à l’une des situations politiques les plus difficiles des années 1980. Suite aux « événements » en Nouvelle-Calédonie, et notamment à la prise d’otage d’Ouvéa et à l’assassinat du leader indépendantiste kanak, nés d’un mouvement de décolonisation tardif, un accord avait été trouvé entre forces opposées. Il devait conduire à l’autonomisation progressive de cette partie du territoire de la République, quitte, du reste, à déroger à certains principes fondamentaux de la Constitution. En prévoyant la possibilité pour le Congrès de Nouvelle-Calédonie d’exercer une part du pouvoir législatif, l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 portait atteinte à la l’unicité de l’État unitaire. En limitant les modalités d’accès au scrutin sur l’autodétermination en Nouvelle-Calédonie, il portait atteinte au principe d’indivisibilité de la République établi à l’article 1erde la Constitution. Pour être valides, ces dérogations à la loi fondamentale devaient atteindre rang constitutionnel. Ce fut l’objet de la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998. Elle avait pour but de constitutionnaliser la loi du 9 novembre 1988 qui fixait les modalités d’organisation de la consultation des populations d’outre-mer, adoptée par référendum de l’article 11 de la Constitution. Le décret du 10 août 1998 a déterminé les modalités concrètes de réalisation de ces opérations.

Cet ensemble normatif prévoyait que seraient appelés à se prononcer sur l’autodétermination, les électeurs néo-calédoniens inscrits sur les listes électorales de l’île à la date du référendum et y ayant leur résidence à la date de l’adoption référendaire de la loi de 1988. Selon plusieurs requérants, dont messieurs Sarran et Levacher, cette limitation du corps électoral portait atteinte à la Constitution ainsi qu’à un ensemble d’instruments internationaux et notamment aux articles 2, 25 et 26 du Pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques, à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et à l’article 3 du premier protocole additionnel à cette convention. Ce sont la physionomie et l’articulation de ces griefs dirigés contre le décret de 1998 (seule prise contentieuse à disposition des requérants) qui furent à l’origine du considérant de principe selon lequel « si l'article 55 de la Constitution dispose que "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie", la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ».

La position du juge administratif est claire et ne souffre plus l’ambiguïté (I). L’arrêt Sarran et Levacher  va toutefois au-delà du problème de la place de la Constitution face au droit international. Il détaille et explicite des points de la doctrine constitutionnelle du juge administratif (II).

  • I - L’affirmation claire d’un principe essentiel
    • A - Une solution logique
    • B- Les conséquences sur le contrôle de conventionnalité du juge administratif
  • II - Les apports sur des questions constitutionnelles majeures
    • A - L’établissement d’une distinction entre les formes de référendums
    • B - Précisions dans la doctrine constitutionnelle du Conseil d’État
  • CE, ass., 30/10/1998, Sarran et Levacher

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