Rares sont les créations jurisprudentielles auxquelles un juge doit plus qu'il ne pouvait le présager initialement. Les principes généraux du droit sont de cette veine. S'ils ne sauraient résumer à eux seuls l'épopée entreprise par le juge administratif à la fin du XIX° siècle, ils sont sans aucun doute sa plus belle réalisation, celle par laquelle son rôle de garant des droits et libertés s'est le mieux affirmé. Le litige opposant Mme. Peynet au préfet du Territoire de Belfort est l’occasion pour le Conseil d'Etat d'en donner une nouvelle illustration.

Dans cette affaire, Mme. Peynet a été recrutée le 17/09/1965 par le Territoire de Belfort en qualité d'infirmière auxiliaire au sein de l'Institut médico-pédagogique « Les Eparses » à Chaux. Elle bénéficiait, à ce titre, de la qualité d'agent de droit public. Presque deux ans plus tard, elle est tombé enceinte et en a informé sa direction. Loin de partager sa joie, le préfet du Territoire de Belfort a, par un arrêté du 4/08/1967, mis fin à ses fonctions à compter du 5/08/1967. Mme. Peynet lui a demandé de rapporter sa décision. Mais, sa demande fut rejetée le 11/08/1967. L'intéressée a, alors, saisi le Tribunal administratif de Besançon afin d'obtenir l'annulation de la décision prononçant son licenciement. Elle fut, cependant, déboutée par un jugement du 17/10/1969 que Mme. Peynet conteste devant le Conseil d’État. Le 8/06/1973, la Haute juridiction annule, par un arrêt d'assemblée, la décision du préfet au terme d'un jugement qui voit éclore un nouveau principe général du droit, celui interdisant de licencier une femme enceinte employée dans les services publics.

Avec cet arrêt, le Conseil d’État enrichit la longue liste des principes généraux du droit (PGD) qu'il a consacré depuis la Libération. Ces principes occupent au sein des normes créées par les juges du Palais-Royal une place à part. Quintessence de la création jurisprudentielle du juge administratif, il se définissent comme des principes non écrits applicables même en l'absence de texte. Ils visent à apporter des garanties aux justiciables lorsque le droit écrit fait défaut. Ainsi, en l'espèce, la décision du préfet était, certes, des plus choquantes, mais elle n'en demeurait pas moins, jusqu'à la présente décision, parfaitement légale. Aucune disposition textuelle ne permettait, en effet, de protéger Mme. Peynet. Le Conseil d’État fait donc acte de volonté et consacre le principe général du droit interdisant le licenciement des agents de droit public en état de grossesse. Si, dans cette tâche, il s'inscrit dans les réalités de son époque, il conserve, cependant, une totale liberté d'appréciation : le juge administratif demeure, en effet, le seul créateur des PGD. Cette considération emporte une conséquence majeure quant à la valeur juridique de ces principes : émanant d'une autorité juridictionnelle, soumise au respect de la loi, mais apte à censurer les actes de l'administration, les PGD disposent d'une valeur infra-législative, mais supra-décrétale. C'est cette autorité qui permet, en l'espèce, au Conseil d’État d'annuler le licenciement prononcé par le préfet du Territoire de Belfort.

Il convient donc d'étudier, dans une première partie, l'origine du PGD interdisant de licencier une salariée enceinte (I) et d'analyser, dans une seconde partie, la force juridique de ce principe (II).

  • I – L’origine du PGD interdisant de licencier une salariée enceinte
    • A – Un juge porté par une double motivation
    • B – Un juge souverain dans la consécration du principe
  • II – La force juridique du PGD interdisant de licencier une salariée enceinte
    • A – Un principe moins « global » que ses aînés …
    • B - … mais qui conserve la même autorité juridique
  • CE, ass., 8/06/1973, Dame Peynet

Télécharger